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SÉLESTADIEN D'ADOPTION ... DE COEUR ET DE DÉVOUEMENT.
Entre 1801, année de son premier séjour et de son mariage, et fin 1806, date de sa mise à la retraite, Lataye ne passe dans sa ville d'adoption que les courts instants que lui laissait son service à l'armée. Au début de 1806 il ne lui est même pas donné la possibilité d'assister son épouse en couches pour le premier enfant et ce n'est qu'à la fin de cette année qu'il devient réellement citoyen de Sélestat.
Après son mariage il s'installe en la maison N° 366, sise rue de l'empereur, soit le 19, rue de Verdun; c'est une vieille demeure cossue de deux étages aux deux pignons crénelés, contiguë au sud à la belle maison Renaissance construite par l'architecte Stephan Ziegler en 1538. De nombreux parents et amis peuplent le voisinage: le maréchal de camp Rollée de Baudreville, son beau-frère, habite au N° 12, et le général Schaal , maire depuis l'année 1800, au N° 16 de la même rue. Plus loin, au N° 2 de la place du marché aux pots, réside le Dr Antoine Herzog, dont une fille épouse son plus jeune beau-frère, le notaire Louis Jean-Baptiste Oberlé, maire de Villé de 1811 à 1825. Après Joséphine, née en 1806, vient au monde le garçon prénommé Napoléon et en août 1812 naît Charlotte. L'année 1813 voit la mort du fils unique, qui n'a pas atteint sa sixième année.
Conseiller municipal assidu de 1812 à 1827.
Malgré les séquelles morbides qu'ont pu laisser 33 années de services aux armées, Lataye porte allègrement ses 57 ans. Il s'intègre très rapidement dans la vie de sa cité adoptive dont la population lui porte en retour beaucoup de considération. Il est également très apprécié dans les milieux officiels, surtout depuis son élévation à la baronnie Impériale dont il reçoit les lettres patentes datées du 10 février 1809. C'est ainsi qu'en 1811, à la démission du Dr Dutaillis, qui avait été installé comme premier magistrat le 16 novembre 1808, il figure sur la liste des propositions pour le poste de maire avec le notaire François Kubler, adjoint depuis 1808, Joseph Armbruster père, qui avait déjà exercé ces fonctions de mai à novembre 1808 en remplacement du général Schaal, et le baron Treüille de Beaulieu. Ce dernier reçoit l'investiture le 28 août 1811 et est installé en juin.
En 1812 Lataye est inscrit sur «la liste des cent plus imposés de la ville de Sélestat, parmi lesquels seront choisis les trente candidats à proposer pour le renouvellement de la moitié du conseil municipal», liste arrêtée par le préfet Lezay-Marnésia le 4 avril. Lors du scrutin, caractérisé par une très minime participation (741 votants sur 2.741 inscrits soit 26,95%), Lataye est élu avec 488 suffrages. L'ancien colonel du 10ème régiment de cavalerie est ainsi appelé à seconder l'action municipale menée par le baron Treüille de Beaulieu, qui, 15 ans auparavant, avait été sous ses ordres comme chef d'escadron. Jean-Baptiste-Pierre Treüille de Beaulieu n'occupe que très peu de temps le poste de maire; il n'a que 44 ans d'âge et dès septembre 1812 il reçoit en tant que colonel le commandement militaire du département des «Bouches du Rhin» avec résidence à Bois-le-Duc. L'adjoint Kubler assure alors l'intérim. Ce n'est que le 15 mai 1813 que de nouvelles propositions sont faites: Lataye figure à nouveau sur la liste des candidats indiqués par le préfet «pour les places vacantes de maire et adjoints, auxquelles il doit être nommé par sa Majesté l'empereur et roi en l'exécution du décret du 15 avril 1806». Sur cette liste Lataye est noté «officier général retiré, baron d'Empire, ancien militaire très considéré». Il n'est pourtant pas retenu, probablement en raison de son âge, et ce sont Jean-Antoine-Joseph Armbruster fils, marchand de fer, né le 28 mai 1770, et François Kubler, notaire âgé de 50 ans, qui sont nommés respectivement maire et adjoint.
Armbruster et Kubler, installés le 20 mai 1813, restent en fonction pendant les Cent jours; ils sont confirmés le 5 mai 1815, soit un mois et demi après la bataille de Waterloo. Au renouvellement quinquennal de juin 1816,
Jean-Baptiste Marande, receveur d'enregistrement, succède à Armbruster avec toujours le même adjoint, mais est destitué à peine 3 ans après pour une «affaire de bois» par l'ordonnance royale du 16 décembre 1819. Une fois de plus le notaire Kubler assure l'intérim jusqu'à la nomination du baron Amey qui sera maire de mars 1820 à août 1830.
Fidèle administrateur de l'hôpital de 1813 à 1819.
Lataye est également appelé à œuvrer au sein de la commission administrative de l'hospice; son installation a lieu le 14 juin 1813 en exécution des arrêtés du ministre de l'intérieur des 16 et 30 mars ainsi que de la lettre du sous-préfet Cunier du 7 juin . Avec lui sont également nommés administrateurs: Claude Munschina, ancien curé d'Eguisheim et directeur des Sœurs de la Providence, et Aloyse Kling, payeur des soldes et pensions militaires. Avec le maire président et le curé Mourche la commission réunit ainsi 5 membres responsables de la gestion de l'hospice.
Depuis 6 ans déjà le couvent de Sylo est propriété de l'hospice et selon le décret impérial de 1807 il doit répondre à sa double mission civile et militaire. Transformation et adaptation des bâtiments conventuels en établissement de soins et de séjour pour malades et blessés se poursuivent avec énormément de difficultés. Mais à la fin de 1813 ces nouveaux administrateurs auront à faire face à une situation beaucoup plus grave; une réelle tragédie s'abat sur la ville et particulièrement sur l'hospice.
A la suite des revers de Leipzig (16, 17 et 18 octobre) et de Hanau (2 novembre), avant même que la place ne soit investie (5 janvier 1814), de nombreux soldats rescapés de la bataille se réfugient dans la cité et y apportent le typhus. Les malades affluent à l'hospice et beaucoup succombent. Les 10 derniers jours de l'année sont les plus meurtriers: du 22 au 31 décembre on dénombre 145 morts, soldats et civils. La journée du 27 décembre à elle seule fait 35 morts. Les administrateurs et le personnel hospitalier ne sont pas épargnés: Munschina et Kling, nommés avec Lataye, figurent parmi les victimes, et sur 63 employés 17 meurent du typhus.
La nouvelle année réserve à tous de nouvelles épreuves; le 5 janvier 1814 marque en effet le début du siège. Le 22 février le conseil de défense de la place, présidé par le commandant d'armes Schweisguth, complète la commission administrative en y nommant le procureur impérial Albert, le chef de bataillon Pinot et le capitaine Moret. Le 7 mars les administrateurs sont amenés à approuver le marché passé entre l'économe et le charretier Wendling Maurer, «qui accepte de transporter les morts de l'hospice au lieu des sépultures à raison de soixante centimes la charge, une demi-portion de pain et un demi de vin». Dans une cité assiégée, coupée du dehors, avec des restrictions alimentaires favorisant la maladie, l'évacuation des morts présente sans doute de sérieuses difficultés d'autant plus qu'aux 536 décès (dont 278 militaires) de l'année 1813 viennent s'ajouter du 1er janvier au 30 mai 1814 720 morts dont 436 militaires.
A la séance du 14 mars Lataye est élu vice-président de la commission et Ignace Corhumel, son neveu, receveur depuis le 27 décembre 1813, est choisi pour remplir les fonctions de secrétaire. La commission se réunit souvent au cours de cette «époque déplorable». Son ordre de jour est toujours chargé et ses soucis sont multiples: admissions de malades indigents ou d'orphelins, ravitaillement, réparation de dégâts causés par le bombardement... etc. Après le blocus levé le 6 mai les dépenses occasionnées par l'engagement de personnels supplémentaires «au moment de la maladie épidémique» occupent plusieurs séances de travail.
Depuis 1813, date de sa nomination, et jusqu'en 1819, Lataye n'a pas manqué une réunion de la commission; en l'absence du maire il a maintes fois dirigé ses travaux; son expérience et sa compétence, sa conscience et sa fidélité ont été unanimement appréciées. Le 15 février 1819 - il va avoir 63 ans -, il donne sa démission et est remplacé par le colonel Léger, beau-frère de l'ancien maire le Dr François Dutaillis.
Lataye continue néanmoins d'exercer avec assiduité et dévouement, avec fierté aussi, son mandat de conseiller municipal qu'il détient depuis 1812. En 1820 il applaudit à la nomination du nouveau maire Amey . Amey est en l'espace de 8 ans le quatrième maire avec lequel il est appelé à collaborer. Il existe entre eux beaucoup de points communs: tous les deux ont terminé une brillante carrière militaire avec le grade de général, le titre de baron d'empire et la rosette de «commandant» de la Légion d'honneur. Le 18 juillet 1828 Amey est reconduit dans ses fonctions. A la suite du départ de l'adjoint Kubler nommé juge suppléant du tribunal, sont installés deux nouveaux adjoints, Joseph-Roland Pennarun et Martin Kuhn.
Cette nouvelle période est marquée par une mésentente croissante entre le maire et l'adjoint Pennarun. Lataye semble être, indirectement il est vrai, à l'origine de ces difficultés. Cela se passe à la fin de l'année 1823 : la ville organise un banquet en l'honneur des officiers du 5ème régiment de hussards au retour de la glorieuse campagne d'Espagne marquée par la prise du fort de Trocadéro le 31 août par les troupes françaises commandées par le duc d'Angoulême. Ce banquet entraîne une vive altercation entre le maire et son adjoint. Pour honorer un ancien cavalier, le maire avait en effet confié la présidence de ce repas officiel au baron Lataye, ancien cuirassier et conseiller municipal. L'adjoint n'est pas d'accord et se plaint au sous-préfet ,de ce que le maire, au mépris des règles de préséance et du protocole, ait commis un acte autoritaire qui ne pouvait être toléré». Une «affaire d'herbes» vient encore aggraver la tension des rapports des deux élus et entraîne en janvier 1826 la démission à la fois de Pennarun et de Kuhn. A l'occasion du renouvellement quinquennal, le baron Amey est réinstallé le 26 janvier 1826 tandis que le 6 mars seulement, lui sont adjoints Joseph-André Dispot, avoué, et Jean-Baptiste Munschina, inspecteur des Eaux-et-Forêts.
Au cours de ces 15 années de présence à l'assemblée communale, Lataye n'a pas été qu'un simple figurant, il s'est activement intéressé à la gestion municipale et à la vie de la cité, participant régulièrement aux travaux, pratiquement jusqu'à sa mort qui survient le 24 février 1827 à l'âge de 72 ans. Il laisse son épouse qui le suivra dans la tombe le 10 décembre 1856 ainsi que ses deux filles Joséphine, âgée de 21 ans, et Charlotte, âgée de 15 ans.
Il est enterré au milieu du cimetière nord, au début de la rangée 92 à côté de la tombe de ses beaux-parents. Sa veuve lui fait construire par le statuaire Sichler un beau mausolée qui a été quelque peu abîmé par plusieurs éclats au moment de la libération de la ville au cours de l'hiver 1944-45. Le monument se compose d'un sarcophage placé sur un soubassement élevé en grès des Vosges. Diverses inscriptions sont gravées sur les 4 faces.
Sur celle de droite se trouvent relatés les faits d'armes, tels qu'ils figurent en tête de cet article. Sur la face postérieure on peut lire:
AUX QUALITÉS BRILLANTES D'UN BRAVE
IL JOIGNIT LES VERTUS MODESTES
DE L'HOMME DE BIEN.
Sur le côté gauche, vers l'allée centrale du cimetière, sont gravées les trois lignes suivantes:
IL LAISSE A SA FAMILLE
LE PLUS BEL HERITAGE
UNE RÉPUTATION SANS TACHE.
Sur la face antérieure sont notés identité et titres :
PIERRE FRANÇOIS LATAYE
BARON MARÉCHAL DE CAMP
COMMANDEUR DE LA LÉGION D'HONNEUR
CHEVALIER DE ST LOUIS
NÉ A CHARNY DÉPARTEMENT DE LA MEUSE LE 14 MARS 1755
DÉCÉDÉ LE 24 FEVRIER 1827.
Dans le bas est sculpté en relief un écusson portant ses armoiries.
Devant le monument les deux filles ont fait apposer une dalle en l'honneur de leur mère.
«Un oublié de la gloire».
Cette étude biographique présente pour Sélestat un intérêt évident: elle a permis en premier lieu de se familiariser avec une grande partie des campagnes de la Révolution et de l'époque impériale. Par son mariage avec une Sélestadienne, le général Lataye a jeté une lumière éclatante sur plusieurs familles de Sélestat. Enfin grâce à sa retraite active et aussi à son fervent engagement civique, il a rendu possible une incursion dans les affaires communales de Sélestat de 1812 à 1827.
Une seule ombre reste au tableau: le nom de Lataye ne figure pas, comme celui de ses collègues Amey et Schaal, sur l'Arc de Triomphe de l'Etoile. On sait que ce monument devait être, selon la volonté exprimée par l'empereur le 18 février 1806, au lendemain de la campagne terminée par la capitulation d'Ulm et l'éclatante victoire d'Austerlitz, un «témoignage défiant les injures des hommes et des intempéries et rappelant les hauts faits de la Grande Armée et de ses légionnaires». Napoléon 1er a choisi lui-même l'emplacement de ce futur édifice. Les fondations commencèrent avant même que les projets des architectes Chalgrin et Raymond, Grands Prix de Rome, ne soient mis au point et la première pierre fut posée le jour de la fête de l'empereur, le 15 août 1806. Longtemps interrompu, ce mémorial fut continué en 1823 sous le règne de Louis XVIII et inauguré le 29 juillet 1836. (..)
SOURCE: Annuaire des amis de la bibliothèque humaniste de Sélestat
Extrait d’un article du Dr Maurice KUBLER
Année 1974 / pages 111 à 121 et de 130 à 137
SELESTAT - MARECHAL DE CAMP LATAYE