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Les Bombardiers de la R.A.F
Dans le ciel de la moyenne Alsace à la veille du débarquement des alliées
Par P. Schmidt
Les amis de la Bibliothèque humaniste de Sélestat annuaire 1981
Par lassitude plutôt que par conviction, on s'accordait à penser qu'il n'y avait pas de survivants, et que dans le meilleur des cas , les aviateurs présumés manquants étaient tombés dans le Rhin ! c'est ce qui permit aux rescapés de prendre leurs distances. Par la suite, et à une seule occasion, le pilote Miller fut aperçu sur le ban de Schoenau vers Richtolsheim, alors qu'il rampait de dessous un pont. Sans mot dire M Emile Koebel indiqua à l'aviateur l'horizon embrumé de la lointaine frontière du Switzerland sauveur.
Récit du Commandant de Bord Léonard A.Miller
Dans le nuit du 26 au 27 avril 1944, je pilotais un bombardier lourd du type "Lancaster J"- Ayant pour mission d'attaquer le centre vital de Friederischshafen. Mon équipe de bord se composait de G.Mead, bombardier; J.Eastman, navigateur; B.Cully, canonnier arrière; Watson, canonnier central: Matews, opérateur radio; Beazley-long, ingénieur mécanicien.
Le chargement était constitué de bombes hautement explosives et nous naviguions en avant d'un dispositif - Dans un rôle de Pathfinders - chargés de frayer le chemin au forces principales de l'Escadre. La nuit était admirablement claire et calme, la lune ayant fait son apparition aux premières heures de cette matinée du 27 .
Aussi, dès notre passage dans le ciel de Paris, nous fûmes interceptés par des chasseurs adverses et divers combats s'engagèrent.
Alors que nous approchions du Rhin, nous fûmes attaqués dans un duel à mort par deux chasseurs de nuit du type "Junkers J.U 88 ". Les fusées tirées par l'un deux nous manquèrent toutes, mais illuminèrent la totalité de notre domaine aérien. De sorte que le second appareil put dès lors nous attaquer au canon et à la mitrailleuse. Le réservoir de bâbord fut aussitôt atteint, alors que Bert Cully ne cessait de tirer en direction des J.U 88: l'un des engins tourna de bord et disparut dans la nuit, l'autre perdit également le contact. Il était alors exactement 02h10. Sur mon ordre impératif Georges Mead et Alfred Beazley-Long se sont jetés aussitôt dans le vide, et à ce moment précis, où, pour un court instant j'étais encore parvenu à maîtriser l'appareil en perdition. Ainsi je restais toujours à mon poste espérant que les autres membres de l'équipage pourraient se sauver dans de bonnes conditions. Dans cet enfer déchaîné, le canonnier arrière tirait toujours, mais déjà, mes quatre compagnons ne répondaient plus. Et c'est alors qu'un second tank d'essence fit explosion et -instantanément- je fus précipité hors du cockpit. Quand, enfin , je repris connaissance, je réalisai aussitôt que mon parachute ne voulait pas s'ouvrir, que je devais déclencher le système de sécurité, mais je ne m'en sentais pas capable. A 300m du sol, enfin , le miracle se produisit. Je tombai sur un peuplier en pleine forêt. L'obscurité était complète, d'abord je n'osai pas bouger, quand je m'aperçus que j'étais suspendu à ras du sol !
Après un très court répit, je découvris l'étoile polaire - et sans délai je me mis en marche vers le Sud. Sur une distance importante, j'ai d'abord pataugé dans un bras d'eau afin de dépister les chiens et finis par trouver un repaire de broussailles impénétrables qui pouvait m'offrir des garanties de sécurité. Et, ce n'est qu'après une attente de plus de 24 heures, le dimanche au soir, à en juger par les sonneries de cloches, que je me suis mis définitivement en route pour la Suisse. Au cours de la nuit suivante, j'éprouvai beaucoup de difficultés à progresser dans l'obscurité d'une véritable forêt vierge, mais parvins à me terrer dans un fortin de la ligne Maginot, près de Marckolsheim. Par la suite, j'eus la chance de voler la bicyclette d'un soldat allemand qui venait de pénétrer dans une maison. Mon périple fut dès lors facilité, j'atteignis Neuf-Brisach au moment d'une parade militaire, débouchant en pleine place des casernes. Néanmoins, je me suis arrêté pour contempler le spectacle, puis je continuai sur ma lancée. Il me faut ici préciser que mon uniforme était recouvert d'un "bleu de travail" , je devais avoir l'air d'un ouvrier, sans cravate, le col largement ouvert. Dans mes poches j'avais du chocolat, un rasoir, de la crème à barbe, des cartes et tout un nécessaire d'évasion, y compris une certaine quantité de poivre pour dépister les chiens.
Un jour, enfin, j'atteignis Mulhouse à 3 h du matin. Je me souviens que là, un officier allemand m'arrêta pour me demander où se trouvait la "Grossmann Platz". Et par bonheur nous y étions!. Du doigt je lui montrai la plaque du même nom. Nous éclatâmes de rire et il s'en alla. Inutile de dire, qu'après cet intermède, ma bicyclette passa au rouge vif, tellement j'étais pressé de quitter les lieux. Près d'Altkirch, je cachai mon engin et me rapprochai de la frontière à pied. La nuit était déjà tombée, quand je parvins à hauteur d'un village, dont la rue principale était bardée de fer et de barbelés, une sentinelle allemande tout au bout. Je m'en aperçus à temps, fis un demi-tour réglementaire et évitai, d'extrême justesse, une patrouille du " Grenzschutz". Je suivis cependant le barrage de barbelés hors de la localité, pour atteindre un bouquet d'arbres où je restai dans l'expectative des lieux et des événements. La nuit était brillante, la palissade à pans inclinés mesurait 3 m de haut et je remarquai aussi que la patrouille défilait devant moi à intervalles réguliers, toutes les 15 à 20 minutes. Je pouvais donc risquer l'aventure : je me hissai au sommet d'un poteau, me balançai par-dessus le premier pan incliné, poursuivis au sommet de la palissade pour me jeter enfin dans le vide par-dessus le second pan. Il ne me restait après cela qu'à battre le record mondial du 100 m pour gagner la forêt Suisse proche et salvatrice.
On m'a apprit plus tard que le village en question était Lucelle. Je fus interné par les autorités suisses après un interrogatoire de routine. Par la suite, je parvins à m'évader une seconde fois, pour gagner consécutivement le Jura et la Haute Savoie, où je m'engageai dans la Résistance. à Annecy d'abord, puis à Lyon et à Nantua, attendant le jour où je serai absorbé par la 7ème Armée.
Rentré en Angleterre, je repris du service dans la R.A,F., pilotant dès lors des appareils du type "Mosquitos".
Léonard A. Miller
27th june 1979.
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compte rendu relatif aux événements de la nuit du 26/27 Avril, 1944
par Alfred Beazley-Long, Flight Engineer 15 Squadron, R.A .F . (A. Beazley-Long - Ingénieur dans 1'électronique - 30. Church lane - Bognor Regis Sussex (England))
Nous avions reçu pour mission - dans le cadre des opérations en zone de guerre - d'effectuer un raid sur Friedrichshafen. Plus précisément, nous étions chargés, en tête d'une unité d'attaque, de frayer un chemin au gros des forces aériennes. Alors que nous approchions du sud de Strasbourg, nous fûmes attaqués par deux chasseurs allemands, du type J.U. 88, spécialisés dans les opérations de nuit. Je m'efforçai de situer leurs canonniers et aperçus effectivement l'un des assaillants en gros plan. Mais, dans le même instant, l'aile gauche de notre appareil fit explosion et, aussitôt, dans un déluge de flammes, nous plongions vers la terre avec rapidité. Je me souviens encore d'avoir entendu le pilote commandant Miller au moment où il essayait une dernière fois de stabiliser le "Lancaster". Mais tous les efforts furent vains et il nous hurla l'ordre de sauter dans le vide. Je parvins à lui passer son parachute, je dégringolai les marches qui menaient à l'étage inférieur, celui du compartiment des bombes, et c'est là que je vis le bombardier G. Mead qui s'efforçait en vain d'ouvrir l'écoutille bloquée par les forces de torsion. Je me souviens enfin, alors que l'avion vrillait en larges révolutions, que soudain l'écoutille s'ouvrit, que je m'élançai dans les airs, inconscient même du fait d'avoir actionné la corde d'ouverture de mon parachute. J'atterris sain et sauf dans une clairière, mais en profond état de choc. Je me repris cependant, cachai mon parachute dans la forêt proche et décidai de m'éloigner au plus vite, muni de mes cartes et de ma boussole, dans l'espoir d'atteindre la lointaine frontière suisse. Je parvins ainsi sur les rives d'un fleuve qui n'était autre que le Rhin, et suivis les berges jusqu'au lever du jour. Ce jour-là, je m'endormis sous une haie, recouverte de lierre, qui se présentait comme un abri idéal. Au réveil, il faisait encore jour, et personne n'était en vue. La nuit suivante venue, je me remis en marche, toujours en longeant le Rhin ; le calme était absolu, nulle trace d'êtres vivants. Il me fut possible de dormir une nouvelle fois dans les forêts qui s'avançaient jusque vers la rive. Je n'avais encore rien bu jusque là et n'avais mangé que le chocolat vitaminé et le tube de lait condensé qui se trouvait dans la trousse de sauvetage. Le lendemain devait m'être fatal. Je me rappelle qu'il faisait bon chaud et le temps était agréable. Toujours nulle trace de présence humaine ; de telle sorte que - imprudemment - je repartis de jour afin de gagner la frontière au plus vite. Je marchai ainsi durant environ 2 heures et parvins, à la tombée de la nuit, en vue d'un débarcadère, qui semblait avoir été installé là pour assembler des canots d'abordage. Regardant à l'entour, je vis plusieurs canots qui gisaient dans les sables, inachevés et pris par la rouille. Les locaux de l'arsenal semblaient déserts. Je contournai les bâtiments pour réaliser tout d'un coup l'insécurité de ma situation alors que je m'engageai sur une voie découverte donnant sur les champs environnants. Je retournai donc vers la berge, contournai une seconde fois le débarcadère et traversai la rampe de glissement. Et soudain, une porte s'ouvrit dans le bâtiment principal, un soldat de la Wehrmacht en sortit, le fusil dirigé contremoi. Il ne me restait d'autre ressource que de lever les bras, et fus dirigé aussitôt vers le camp local. Le jour suivant s'effectua mon transfert en pays de Bade, la prison commune de Fribourg étant ma nouvelle destination. Et une voiture à bestiaux me transporta peu après dans le Stalag de Heidekrug.
14.5.1979
A. Beazley-Long
Engineer
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Rapport de Mister George Mesd,bombardier (Mr George Mead - professeur - 35. Boltons Lane - Pyrford- Woking G.U. 22,E TL - Surrey)
Dans cette nuit du 26-27 Avril 1944, je vis plusieurs bombardiers détruits avant que notre tour ne survienne. L'attaque décisive fut exécutée par deux J.U. 88 et immédiatement notre aile gauche prit feu et l'appareil se tordit en vrille. Le vacarme et la violence des éléments déchaînés furent inimaginables. J'essayai en vain d'ouvrir l'issue de secours qui resta bloquée, en raison des contractions de la machine. Aussi, je ne me souviens plus du moment où elle se disloqua subitement. Je repris conscience dans les airs, ayant juste le temps de dégainer le dispositif de sûreté de mon parachute et de fixer des yeux l'avion qui déjà s'embrasait au sol. J'atterris dans la forêt et abandonnai mon parachute dans les branches, en désespoir de cause.
Aussitôt je me mis en marche à travers les sous-bois, dormant de jour, voyageant de nuit. Je finis par me trouver coincé entre la rive gauche du Rhin et un canal sur ma droite. La lune éclairait mes pas, je me sentis vulnérable et me résolus à franchir une écluse du canal quand je fus hélé soudain par un garde : "Halte".
Je m'arrêtai horrifié mais essayai de rebrousser chemin en clamant sans arrêt "Ja, ja, ja,..." ,. "Was esch los?" fut sa réponse, un langage que je ne comprenais pas à l'époque - mais aujourd'hui je sais que cela signifie "What is the matter?". Je décidai donc de me poser en soûlard "Ja, ja,..." et déambulai comme un idiot le long du sentier. Le garde me suivit un certain temps, puis retourna à son poste en hochant la tête. Je remerciai Dieu et atteignis un pont important à l'ombre duquel je me dévêtis, liai mes vêtements au-dessus de ma nuque et traversai le canal, non sans peine. Dès lors, j'étais transi et dus marcher plusieurs heures avant de me sentir réchauffé. J'essayais toujours de dormir, mais n'y parvenais guère.
Un jour cependant, j'aperçus des hommes qui chargeaient une voiture avec des betteraves, et fus particulièrement heureux, quand ils s'éloignèrent, me laissant tout loisir pour me ravitailler et manger à ma faim. Instant vraiment délectable ! Je découvris aussi un vélo que j'enfourchai sur une distance d'un mille ou deux, le temps de me rendre compte que cette façon de voyager était beaucoup trop voyante.
Je me souviens aussi du jour où j'étais en train de glisser dans mes doublures, une partie de l'argent provenant de ma trousse de secours, alors que des avions allemands tournoyaient au-dessus de ma tête. Cependant, je continuai, tant bien que mal, mon périple le long du Rhin, avec ses bunkers, ses chalets en bois, tapis dans de magnifiques paysages sylvestres, et arrivai finalement à hauteur de Mulhouse. Je ne pouvais toujours pas me décider à pousser davantage vers l'ouest. Poursuivant en direction du sud, je rencontrai un homme affairé dans les champs et je lui demandai quelque nourriture. Il me présenta un peu de pain et de lard, mais je n'étais pas sans remarquer que cet homme était très mal à l'aise. Aussi je disparus rapidement dans la nature. Une nuit enfin, j'étais en train de me reposer sous un arbre, dans un coin de forêt tranquille. A ma grande stupéfaction, j'entendis quelqu'un qui s'approchait de moi avec d'infinies précautions. Je regardai au-dehors et vis que la personne qui venait sur moi était un nègre, un noir de forte carrure. Enhardi par la famine, et pensant qu'il pouvait m'être d'un quelconque secours, je m'adressai à lui dans un français de collégien. Mais lui était aussi terrifié que moi-même, et c'est alors seulement que je réalisai que l'homme que j'avais pris pour un nègre portait l'uniforme de la R.A.F, les mains et le visage noircis par le feu. Il me fut possible de le débarrasser des quelques débris de branches qui encombraient ses bottes de guerre, ce qui lui était interdit en raison de ses mains à demi calcinées. La vision de ses yeux brûlés, et privés de sourcils m'était insupportable et je compris qu'il lui fallait une aide médicale immédiate. Mon plan routinier fut dès lors bouleversé et je me décidai à poursuivre sur le champ en direction de la frontière suisse, dont j'estimais l'éloignement à 12 km. Dans la nuit on pourrait encore l'atteindre et risquer le passage au cours de la nuit suivante. Ainsi nous nous mîmes aussitôt en marche, en nous engageant sur l'un des bras d'un sentier en fourche.
Nous avions à peine fait quelques pas, qu'un "gentleman" coiffé d'un chapeau à plumes, armé d'un fusil et accompagné d'un chien féroce nous mit en joue.
Une attitude neutre nous paraissait seule de mise. Ainsi nous parvînmes, canon de fusil et chien dans le dos, dans un village où nous attendait une meute de soldats allemands. Nous fûmes fouillés, et on nous donna à manger. Mes poches furent retournées, les doublures lacérées et tout fut découvert: argent, boussole, etc.
Ma carte fut scrutée avec avidité. Moi-même, j'étais vexé, mais cependant amusé par leur attitude satisfaite.
Je le fus beaucoup moins, quand on m'enfourna dans une voiture à destination de la prison de Fribourg, un revolver planté en permanence dans les côtes. Par la suite je fus relégué dans les Stalag III de Hydekrug, Thorn et Fallingbostel. Ma libération survint le 1er Mai 1945 par les troupes britanniques. Le pilote capturé avec moi était un officier de la R.A.F. et je suis heureux de signaler qu'un traitement à la gentiane violette le rétablit complètement, lui permettant de regagner ses foyers, en pleine convalescence.
Yours sincerely : George Mead
1st May 1979
SCHOENAU